UNE SAISON ATYPIQUE

Ces gracieux volatiles qui rythment nos journées d’hiver avec leur ‘déplacements pendulaires’, des dortoirs aux zones de gagnage (d’alimentation), se seraient-ils faits plus discrets cette saison ?
Comme chaque année, les comptages effectués par le collectif Grus Gascogna nous informent du bilan compté de la présence des grues cendrées dans les Landes de Gascogne.
Ce partenariat Grus Gascogna donne lieu à des comptages réguliers durant la saison grues, pendant laquelle nous pouvons obtenir une répartition des individus sur les dortoirs des Landes de Gascogne, comme sur la manière dont les oiseaux occupent l’espace sur les zones cultivées.
Cette année, des différences notables peuvent être relevées. Le constat à peine dressé, les résultats de cet hivernage nous amènent à nous interroger sur les causes.
L’état de cette migration serait-il un marqueur supplémentaire aux nombreuses anomalies qui pourraient avoir pour origine le changement climatique ? Une chose est sûre : on s’interroge de plus en plus fréquemment, à notre échelle comme à l’échelle européenne, concernant la question migratoire de l’avifaune face aux aléas climatiques qui surviennent.


DES COMPTAGES QUI ATTESTENT D’UNE PRÉSENCE EN EXPANSION


Outre la Champagne-Ardenne qui accueille les grues en migration parties de Scandinavie et d’Allemagne, les Landes de Gascogne restent le troisième site d’accueil à échelle nationale. La présence de zones humides préservées et la culture du maïs garantissent à l’oiseau un hivernage adapté à ses besoins, lui permettant d’échapper à la pénurie alimentaire dans les zones enneigées du nord de l’Europe où il niche.
Ces cinq dernières années, les chiffres révèlent une présence jamais atteinte sur notre territoire avec des effectifs compris entre 50 000 et 70 000 migratrices sur cinq années consécutives.
On constate même que depuis vingt ans leur présence ne cesse d’augmenter, le nombre d’individus ayant doublé dans les Landes de Gascogne quant au nombre de grues y séjournant un hiver entier, passant de 30 000 à 60 000 individus en moyenne depuis le début de la décennie.
Pourtant cette tendance serait à nuancer cette année. Pour le comptage de la saison 2023-2024, le chiffre de référence est de 37 708 grues recensées à la mi-janvier (11 et 12 janvier 2024). Mais derrière ce chiffre plutôt bas de prime abord, se cache une réalité plus complexe.


UNE ANNÉE CONTRASTÉE


Plusieurs constats se dressent à ce stade de l’hivernage et témoignent d’une année assez singulière, du moins au regard des chiffres portés à notre connaissance par les équipes de Grus Gascogna :
- Une arrivée plus tardive :
C’est avec plus d’un mois de retard que nos gracieuses grues ont commencé à nous couvrir de leurs cris trompétants. Comme on le sait, les premières trompettes riment avec l’arrivée de Monsieur Hiver, pour autant, cette année l’annonce a été plus tardive. En effet, là où les toutes premières grues s’aperçoivent en octobre, il a fallu attendre le mois de novembre pour les voir comme à notre habitude. A partir de novembre les vagues d’arrivée se sont succédées, mais ces flux ont duré plus longtemps que ce que l’on observe habituellement.
- Des chiffres contrastés :
Si on prend le chiffre de référence annuel (37 708 grues) il faut remonter à 2008 pour trouver des chiffres similaires (31 915 grues en janvier 2008). Depuis cette date, les effectifs n’ont fait que croitre (hormis janvier 2018), comme précisé juste au-dessus. Mais pour brouiller les pistes, le dernier comptage de l’année aura révélé une recrudescence de près de 15 000 grues dans le recensement pour la toute fin janvier, faisant passer le comptage de référence annuel de 37 708 grues à 50 123 grues deux semaines plus tard.
Ce tout dernier comptage vient relativiser ce bilan annuel et fait remonter la migration de cette année à des chiffres similaires aux cinq dernières années.
- Des grands dortoirs délaissés au profit de petits dortoirs :
Beaucoup de ‘petits dortoirs’ ont vu leurs effectifs grimper cette année comme celui de Nahours à Sabres qui affichait les 4-5 décembre près de 11 500 grues (à savoir le plus gros dortoir de ce premier comptage saisonnier, contre 9 182 à Cousseau ou 3 369 à Arjuzanx).


DES PISTES D’EXPLICATION


Sans trop se mouiller on peut avancer plusieurs pistes explicatives de cette année singulière.
Pour expliquer ces arrivées tardives, les spécialistes penchent pour un automne plutôt clément sur les zones septentrionales où elles résident et un hiver tardif qui les auraient conduites à rester en Allemagne, phénomène qui tend à s’accentuer avec les années.
Ensuite, les tempêtes successives venues de l’Ouest les ont repoussées et ont freiné leur progression vers le sud et notamment le sud-ouest.
Enfin, l’automne et l’hiver beaucoup plus humides que d’habitude chez nous, ont pu emplir les champs en véritables réservoirs d’eau, mares dans lesquelles les grues ont pu trouver le gîte pour la nuit, remplaçant les dortoirs traditionnels par ces champs, jusqu’à ce que la pluviométrie baisse à partir de mi-janvier. Ce qui pourrait expliquer qu’à partir de mi-janvier, les grues, face à des champs détrempés, ont pu réintégrer leurs dortoirs habituels. Notre chiffre annuel de 37 708 grues peut donc cacher une réalité toute autre. L’effectif de ces cinq dernières années est peut-être encore bien présent cette saison, c’est juste qu’elles ont pu se répartir sur des zones agricoles sans retourner à leurs zones de dortoir, là où les comptages des équipes ont lieu. Ce qui nous laisse penser que ces 15 000 grues de fin janvier étaient peut-être présentes, mais plutôt dans les champs ou dans des mini-dortoirs à proximité du gagnage.
Attendons donc la synthèse annuelle qui aura lieu ces prochains mois pour dresser un état des lieux de la saison grues 2023-2024 en s’appuyant sur les chiffres des hivernages européens (allemands, espagnols et français).